Esquive

La maladie, un accident, la faillite... Les mauvaises nouvelles ne s'annoncent pas. Imaginez que vous rencontriez votre imbécile de collègue un dimanche après-midi. Pas de bol!

La salle du café « Arômes » est simple, mais propre : des tables, un bar, le sol en carrelage, une fresque sur le mur. Rien d'extraordinaire. Les gens du coin connaissent bien et les visiteurs de passage n'hésitent pas à entrer. Le point de rencontre idéal, à l'angle de deux rues, dont une piétonne. Si on se place bien, on peut même voir les gens de loin.

On est dimanche après-midi, la salle est presque vide. La serveuse lit un magasine près de la caisse. Un homme est assis à quelques tabourets de distance, devant lui, posé sur le marbre refroidit un café allongé, et une eau gazeuse pétille dans un verre. Il regarde la rue, l'air rêveur. Plus loin, seule à une table, une vielle mâche sa salive et regarde dans le vague, sans bouger. Et puis, une famille, près de la baie vitrée, discute de problèmes familiaux.

Dehors, le soleil tape dur et les rares passants marchent à l'ombre. L'homme au bar, baille et prend une gorgé de café. Son geste s'interrompt, il se redresse, rajuste ses lunettes et fixe quelque chose à travers la vitre. Ses sourcils se froncent, comme si des ennuis s'annonçaient. Dans la rue en face, un homme s'approche.

Cette démarche en canard, cette façon de fumer une cigarette... Y à pas de doute, il sait à qui il a affaire. Il savait l'endroit peu sûr mais il avait voulu profiter de la vue. Maintenant, il se reproche sa naïveté. Si l'autre le voit se sera le pétrin. Trop tard pour sortir par l'entrée principale... Sans que personne ne fasse attention à lui, il se dirige vers les toilettes.

Personne. Les deux waters sont libres. Une fenêtre ouverte donne sur une cours intérieure. Assez large pour laissé passer un homme. Il suffirait de s'appuyer sur le lavabo et de sauter... Sauter et s'enfuir comme un fugitif. Si on lui avait dit ça au réveil, ce matin...

La porte qui s'ouvre le fait sursauter. Il se retourne. Juste une mémé qui va aux waters. Un regard dans la glace et il revient à des idées plus terre à terre. Il n'a même pas payé ses consommations. A-t-il sérieusement pensé à s'enfuir par cette fenêtre? Non... il doit y retourner et faire ce qu'il a à faire.

Sa raison revenue, il ouvre la porte qui le sépare de la salle et marche vers la caisse, le regard fixe, droit devant lui. L'autre est là, il le sens mais il continue, l'air de rien et puis...

« Eh! Jérôme!»

Ça y est, le jeu est fini, il est pris. Si il ne peut plus s'échapper, il peut au moins sauver les apparences. Faire semblant, la surprise, sourire. C'est bien lui, l'homme à la cigarette, c'est Christian. Il s'est assis au bar, sur le tabouret voisin. La tasse de café et le verre d'eau gazeuse sont toujours à leurs places. Ils se serrent la main.

« Salut! Qu'est ce que tu fait ici? Tu prends une bière? » demande Christian.

On y est. Non, Jérôme n'a pas envie de prendre une bière et il n'a pas envie de lui parler non plus, ni de le voir, ni de l'entendre. Il en a sa claque de Christian et il a juste envie de mettre les voiles. Il doit trouver les mots justes et sans traîner, sinon l'autre va se douter de quelque chose. Être ferme mais rester amical.

« Merci mais je peux pas... J'ai à faire. ».

C'est pas terrible. Bien mentir est un art. Il aurait dû trouver une raison valable, c'est trop vague tout ça... Un signe au patron : l'addition et sans traîner. L'autre est tenace d'habitude, mais le message semble passer. Jérôme le regarde et attend la suite. Il tire sur sa cigarette, l'écrase dans le cendrier et accepte l'excuse d'un mouvement de tête.

Il l'a échappé belle. Les deux hommes échangent un regard. « A lundi » et Jérome sort sans attendre la monnaie. Va pour cette fois, mais il ne se fait pas d'illusions. Un de ses jours il n'y coupera pas, il devra prendre une bière avec Christian.

Aucun commentaire: